Peppe Cutraro, après 6 pizzérias à Paris et sa proche banlieue, le champion ouvre à Bordeaux
En voilà un qui ne s’endort pas sur ses lauriers ! C’est même à se demander s’il dort tant son travail est constant, méticuleux et chaque jour réinventé. En 4 ans à peine, le Napolitain est devenu une référence majeure, disons-le carrément, une star du monde de la pizza à Paris et dans sa proche banlieue où il a ouvert 6 restaurants. Fort de ce succès, il ouvre une pizzéria à Bordeaux. Champion de pizza*, roi de la pizza ? Les titres importent peu puisque Peppe Cutraro a réalisé son rêve : vivre du métier qui lui a fait faire le tour du monde et, aussi, le tour de lui-même. Apprécié du public autant que des critiques gastronomiques, il s’offre également le luxe de raconter son art et son parcours sur 30 pages dans Pizza Mania, le nouveau livre d’Alba Pezone (Ed de La Martinière).
FRANCE PIZZA. Rue Ste Blaise (Paris 20 ème) en 2020 puis le quartier du Luxembourg (Paris 5ème), la rue des Martyrs (Paris 9 ème), Levallois et Boulogne (92), Etienne Marcel (Paris 1er) et bientôt Bordeaux. Vous avez lancé 7 pizzérias ou comptoirs en 4 ans, jusqu’où comptez-vous aller ?
PEPPE CUTRARO. Lors de notre dernière interview (Ndlr : France Pizza N°88), je vous disais combien j’avais faim. Cette faim-là ne s’est pas apaisée même si en apprenant tous les jours et en grandissant, je comprends qu’on ne peut pas tout faire. Alors oui, j’ai envie de développer encore la marque Peppe. Ça peut surprendre car je suis un Napolitain et qu’à Naples, un pizzaiolo ne multiplie pas les adresses. Il ouvre sa pizza, il y consacre tout son temps, toute sa vie et y travaille en famille. Mais voilà, je vis en France et ce pays offre l’opportunité de se développer différemment. Beaucoup de clients de la rue Ste Blaise regrettaient d’avoir à traverser tout Paris pour manger une pizza. Et pour ceux qui se faisaient livrer, je trouvais dommage de faire voyager la pizza de mon restaurant jusqu’à chez eux. C’est pour cela que j’ai développé d’autres adresses à Paris, en banlieue et une prochaine à Bordeaux pour que le plus grand nombre puisse vivre cette expérience de s’installer à une table et découvrir mes pizze. Pourquoi tant d’adresses ? Parce que je rêve tout le temps et ne cesserai jamais de rêver.
FRANCE PIZZA. Votre nouvelle pizzéria à Paris se trouve dans le quartier des Halles, à l’angle des rues Etienne Marcel et Saint-Denis. Comment avez-vous choisi cet emplacement ?
PEPPE CUTRARO. J’ai ouvert dans des quartiers populaires, des quartiers bobo… Je suis parti du 20 ème, j’ai fait le tour de Paris et j’arrive au cœur de la capitale. Etienne Marcel est un quartier qui bouge beaucoup et qui est très touristique. J’avais envie de valoriser davantage la marque et je trouve que cette adresse centrale se prête bien à ce projet. Arriver au centre de Paris, c’est inespéré !
« Je suis à la tête d’une entreprise qui marche et emploie 110 salariés. Je dois être un bon patron »
FRANCE PIZZA. Vous ouvrirez bientôt à Bordeaux. Pourquoi quitter Paris qui vous a bien accueilli et pourquoi cette ville ?
PEPPE CUTRARO. C’est une opportunité et ça s’est fait dans un moment d’excitation, dans une période qui m’était favorable. Quand je cherchais un local du côté d’Etienne Marcel, le vendeur préférait signer avec Bo&Mie. Je me suis alors intéressé à Bordeaux dont un ami m’avait parlé. Et pendant que je me concentrais sur Bordeaux, le local d’Etienne Marcel s’est libéré. Du coup, j’ai gardé les 2 adresses. Ouvrir 2 adresses dans 2 villes différentes en à peine 3 mois, c’est un vrai challenge pour moi qui aime les défis. En sortant de Paris, je sors de ma zone de confort. Et sortir de cette zone de confort, c'est l’histoire de ma vie. Je suis toujours allé plus loin. Plus loin que ma rue, mon quartier, ma ville, mon pays, mon continent.
FRANCE PIZZA. Entre le Peppe de la rue Ste Blaise et celui qui ouvre bientôt à Bordeaux, qu’est-ce qui a changé ? Je ne parle pas du business en lui-même mais de l’homme que vous étiez et celui que vous êtes aujourd’hui.
PEPPE CUTRARO. Je suis devenu chef d’entreprise. Je travaille enfin avec ma femme. Ce rêve d’une entreprise familiale, je l’ai préparé pendant 15 ans. Je savais ce que je voulais faire à mes 30 ans mais je ne m’attendais pas à tout cela. Soit on se limitait à une affaire et on vivait tranquillement soit on avançait ensemble comme un couple fort pour faire quelque chose de plus grand. C’était mon rêve et pas forcément celui de ma femme. On s’est assis, on a réfléchi. J’ai un peu plus de 30 ans, une force et une énergie que je n’aurai peut-être pas à 40. C’est un autre métier avec des responsabilités différentes.
"Le succès des pizzérias, leur rentabilité ont fait croire à certains que le métier était facile et que tout le monde pouvait faire de la pizza"
FRANCE PIZZA. Et humainement, vous avez changé ?
PEPPE CUTRARO. Je suis quelqu’un qui a besoin sans cesse de nouveaux challenges, qui est toujours en mouvement. Même à la maison, quand on regarde la télé, je change de chaîne tout le temps et ça rend folle ma femme ! J’ai gardé le même caractère, je suis volontaire, déterminé, curieux; certains diront impatient mais ça n’est pas un défaut.
FRANCE PIZZA. Comment travaillez-vous aujourd’hui ?
PEPPE CUTRARO. Je m’occupe beaucoup de la qualité des produits, de la formations des pizzaiolos et de l’empâtement. Mon quotidien a complètement changé. Avant, mon problème était de savoir combien de pâtons je devais produire pour le soir; aujourd’hui, j’ai beaucoup plus de responsabilités, beaucoup plus de problèmes mais aussi beaucoup plus de satisfaction et beaucoup plus de valorisation. Je suis à la tête d’une entreprise qui marche et emploie 110 salariés. Cela veut dire que 110 familles dépendent de moi. Je dois être un bon patron. Les gens attendent beaucoup de moi. Je suis déçu quand les gens sont déçus mais je sais qu’on ne peut pas faire plaisir à tout le monde.
FRANCE PIZZA. En étant chef d’entreprise, vous êtes de moins en moins al forno. Est-ce que ça vous manque de ne plus passer autant de temps à la fabrication des pizzas ?
PEPPE CUTRARO. Ah oui, c’est exactement ce qui me manque le plus ! Avoir moins de responsabilités et travailler davantage ma pâte. Un pizzaiolo finit son service à 14h30 et a trois heures de repos avant de reprendre le service du soir. Il fait sa vie. Moi, j’ai toujours quelque chose à gérer, même quand je suis de repos, je ne m’arrête jamais. Et parfois je me dis que je kiffe mais je me demande si je vais continuer comme ça jusqu’à 70 ans. Est-ce que ça a du sens ? Maintenant, je ne vous cache pas que gagner de l’argent et pouvoir acheter un appartement pour quelqu’un qui n’a jamais rien eu c’est une satisfaction qui n’a pas de prix. Avoir fait tout ça tout seul, c’est une grande joie.
FRANCE PIZZA. Commet encadre-t-on 6 établissements dans Paris?
PEPPE CUTRARO. Pour tous les premiers services, matin et soir, je passe une heure dans la cuisine d’un restaurant. Je fais cela dans tous les restaurants. On ne peut pas laisser les équipes sans soutien. Le fait que je sois là oblige les équipes à travailler bien. J’aurais pu ouvrir un laboratoire, comme le font pas mal de restaurants, pour centraliser la pâte puis ensuite distribuer les pâtons dans chaque pizzéria. Je ne le fais pas car je ne voulais pas standardiser mes produits. Chaque adresse a sa pâte avec le savoir-faire du pizzaiolo qui est sur place. Le client mange une même recette mais ce n’est pas tout à fait la même d’une adresse à l’autre parce que la main du pizzaiolo, son caractère et son humeur ne sont pas les mêmes.
« Les championnats, j'irai pour observer mais je n’en ferai plus ! »
FRANCE PIZZA. Vous êtes devenu une star à Paris et vous êtes de ceux qui ont contribué à faire sortir les pizzaioli de l’ombre. Vous avez remporté des titres et de nombreuses consécrations*. Pourquoi, à ce niveau d’excellence, continuez-vous encore à participer à des championnats ?
PEPPE CUTRARO. Oui, le personnage du pizzaiolo a changé, ce n’est plus le même que celui des années 90 et 2000. Nous, les passionnés par le métier, les vrais passionnés, mes collègues nous avons attiré l’intérêt de beaucoup de gens qui, avant, négligeaient ce métier. Quand ils ont compris qu’il y avait de l’argent à faire, tout le monde s’est projeté sur ce métier. Mais il y a une différence entre les vrais, les sincères comme Angelo Cipullo (Ndlr : chef des pizzérias La Fabrica rue d’Alésia et La Manifattura, boulevard Montparnasse, à Paris) qui aiment travailler les produits, faire de bonnes recettes et d’autres qui ne sont venus que pour le business. Le succès des pizzérias, leur rentabilité ont fait croire à certaines personnes que le métier était facile et que tout le monde pouvait faire de la pizza. Les concours sont un bon moyen d’apporter de la lumière et une reconnaissance aux pizzaioli qui font bien leur boulot, qui ne sont pas forcément dans de grandes structures et qui vont changer de vie grâce à cet éclairage. Avoir remporté un titre en 2019 m’a encouragé à ouvrir ma pizza en 2020. Mais les championnats, je n’en ferai plus. J’ai voulu tout faire et c’est trop. Il faut être sur les championnats pour voir, observer mais je ne veux plus y participer. J’aimais ça pour l’adrénaline, l’émotion que ça procure… Dans votre pizzéria, vous pouvez faire 300 pizzas sans en rater une et dans un championnat, votre pizza tombe et vous vous retrouvez dernier. Je suis allé à Las Vegas avec TF1 qui me suivait mais depuis j’ai dit que je ne ferais plus de championnat. Maintenant, j’envoie ceux qui travaillent dans mes pizzérias. Participer à un championnat, cela veut dire ne pas faire ses heures de travail dans la pizzéria, payer des voyages, des hôtels… c’est toute une organisation qui coûte assez cher. Ensuite quand on gagne, il faut réagir et faire quelque chose de ces victoires. J’ai essayé de faire de mon mieux et je remercie vraiment les Français car ils m’ont adopté.
Propos recueillis par Isabelle Aithnard
*2019 :Champion de la Caputo Cup,
2021 : Meilleure Pizzéria d'Europe au 50 Top Pizza Europe,
2021 : Prix spécial Performance de l'année-Prosecco Doc award,
2022 : Meilleure Pizzéria d'Europe au 50 Top Pizza Europe,
2022 : Pizza Maker of the year-Ferrarelle Award
2022 : 3ème meilleure pizzéria du monde au 50 Top Pizza Monde