
Anne Caron, MOF Torréfaction 2023
Meilleure torréfactrice de France 2017, MOF Torréfaction 2023, Anne Caron célèbre cette année les 50 ans de la brûlerie créée par son père Sylvain. Consciente et engagée, cette diplômée en biologie végétale et chercheuse en agronomie compte bien donner vie à l’œuvre qu’elle a présentée pour devenir MOF : une unité de torréfaction mobile.
FRANCE PIZZA. La torréfaction est-elle une voie qui séduit les femmes ?
ANNE CARON. Il y a de plus en plus de femmes torréfactrices et nous sommes 2 femmes sur 6 MOF en torréfaction. Donc c’est pas mal. Torréfactrice, c’est un métier qui renaît. On voit fleurir des boutiques de café partout et le métier se féminise. Oui, les femmes sont représentées et actives dans le milieu du café.
FRANCE PIZZA. Comment avez-vous appris votre nomination comme MOF ?
ANNE CARON. J’ai reçu un mail, je n’y ai pas cru, je n’avais pas mes lunettes. J’étais sur un nuage parce que préparer ce concours c’est tellement d’investissement personnel ! C’est 5 ans d’une préparation qui s’intensifie au fur et à mesure que la date approche. Le concours a été décalé plusieurs fois à cause du Covid. Donc ç’a été des montées de pression. La 1ère fois que je l’ai passé en 2018, je ne l’ai pas eu, j’étais déçue mais c’est un concours tellement pointu que ça ne remet pas en question les capacités professionnelles qu’on a. Apprendre la bonne nouvelle en 2023 est l’un des rares moments où j’ai été aussi euphorique. Ça m’est arrivé à la naissance de mes enfants et ça a duré.
"Au-delà du titre qui récompense une expertise du geste, la torréfaction c’est un peu une épreuve divinatoire"
FRANCE PIZZA. Vous avez, j’imagine, pensé à votre père Sylvain Caron, Meilleur Torre?facteur de France en 2011, qui vous a mis le pied à l’étrier
ANNE CARON. J’ai pensé à mon père qui n’est plus de ce monde et je me suis dit : « Ça, tu ne l’as pas eu ! ». En fait, le concours MOF torréfaction n’existait pas quand mon père était en activité. Mais quand même, c’est une récompense qu’il n’a pas eue ! (Rires)
FRANCE PIZZA. Qu’est-ce que cette consécration a changé dans votre vie?
ANNE CARON. La fierté de mes enfants de 9 et 11 ans que j’ai pu amener à la cérémonie. Ils sont très café, ils adorent ça ! Ils n’ont pas compris ce que cela voulait dire mais lorsqu’ils en ont parlé à l’école et autour d’eux, ils ont eu de la fierté. La plus belle chose que j’ai, c’est la reconnaissance de mes enfants. Au-delà du titre qui récompense une expertise du geste, la torréfaction c’est un peu une épreuve divinatoire puisqu’on doit torréfier un café, prédire l’avenir à partir du présent. Et même le présent n’est pas certain, on ne sait pas exactement ce qui se passe mais il faut qu’on devine ce qui va se passer pour sortir un bon café. C’est l’expertise du geste, de l’art divinatoire.
FRANCE PIZZA. Cette distinction salue également l’originalité d’un projet qui vous tient à cœur.
ANNE CARON. Oui un projet que je porte et nourris depuis quelques années. Le café ce n’est pas qu’un acte technique, c’est le choix du producteur, c’est la mise en valeur des produits et de méthodes. Dans le concours MOF, il y a une épreuve appelée « L’œuvre ». La mienne était d’imaginer une unité de torréfaction mobile dont le symbole était le café sur une péniche. Mon projet d’entreprise et mon projet café, c’est que le café soit vertueux, cultivé dans le respect de la terre, en agroforesterie ou sous ombrage, qu’on puisse restaurer, là où elles ont été abandonnées, des méthodes de culture qui préservent le sol, qu’on puisse progressivement diminuer les intrants pour arriver vers une culture 100% vertueuse mais avec un accompagnement. On n’a pas de baguette magique ! Je souhaite que ce soit dans le respect des hommes, qu’on crée de la valeur et qu’on leur permette de vivre dignement du café, que ce café soit transporté sur un moyen de transport décarboné notamment sur un bateau à voile. Et après, d’être le porte-parole de toute la filière. C’était mon œuvre et c’est toujours mon projet.
FRANCE PIZZA. Vous parlez de bon café, à quel moment un café est-il bon ?
ANNE CARON. Pour faire un bon café, il faut un bon café ! Un bon café vert bien torréfié et bien le torréfier, c’est un parti pris. On a une échelle entre le moment où l’on sait qu’on peut sortir le café et le moment où il va arriver sur le charbon. Donc il y a une, deux, trois minutes où on peut sortir ce café et selon la minute choisie, le goût va être complètement différent. On pourrait penser que c’est la couleur du café mais aussi la façon dont on a géré la pénétration de la chaleur dans le grain. En fonction de la vitesse à laquelle la chaleur a pénétré le grain on a développé des précurseurs des arômes, après on a cassé les molécules pour que ça pourrisse tous ces complexes aromatiques et en fonction du choix qu’on a fait à tel ou tel moment (mettre de la chaleur, activer la ventilation) eh bien, on n’aura pas le même goût à la fin. Ces choix qu’on fait lors de la torréfaction apportent une signature et le moment où on le sort est un moment assez magique. Ce qui importe ce n’est pas la couleur du grain; il peut être gris à l’extérieur et cru à l’intérieur comme une merguez de la Foire du Trône, donc il faut avoir une parfaite connaissance de ce qui se passe dans le grain, et d’intuition. C’est un parti pris, une signature.
FRANCE PIZZA. Justement, quelle est la signature Anne Caron ?
ANNE CARON. Personnellement, j’ai plutôt développé la sucrosité et je ne fais pas de cafés qui tirent trop vers l’acidité. Je n’aime pas les cafés trop poussés et qui commencent à dégager de l’amertume de torréfaction.
FRANCE PIZZA. Combien de références proposez-vous chez Caron ?
ANNE CARON. L’originalité de la maison Caron c’est que presque 90 % de nos volumes sont sur un assemblage qui est l’assemblage Caron, la signature de la maison. Tout le monde est capable de faire un bon café, faut simplement s’en donner les moyens ! Je partage volontiers des recettes, après il y a le savoir-faire de la torréfaction. Mon père avait pris le parti de se concentrer sur un seul assemblage.Dans cet assemblage, il est allé cherché la tasse parfaite. Celle qui est ronde, aromatique, une légère acidité pour porter les arômes en bouche et il s’est positionné sur ce seul assemblage, ce qui était assez révolutionnaire il y a 40 ans dans le monde du café où beaucoup de torréfacteurs proposaient une gamme de cafés. Mon père disait : « Oui, ils ont une gamme mais il y 1 bon café parmi d’autres cafés moins chers. Moi, je n’en ferai qu’un seul et le meilleur ! ». J’ai maintenu cette approche. Sauf qu’aujourd’hui on est dans un monde où les gens veulent un peu plus de variétés et qu’on leur fasse plusieurs propositions. J’ai toujours l’assemblage principal qui représente 90 % de nos volumes et je travaille avec 4 origines : Guatemala, Nicaragua, Brésil et Ethiopie. Pour chacune de ces origines, on a des programmes qui vont nous permettre de générer de l’impact environnemental et sociétal avec des gens qui vivent du café. Le prochain projet dans lequel on s’implique sera l’illustration de l’œuvre que j’ai faite : l’unité de torréfaction mobile que j’ai imaginée c’est une péniche qui allait chercher son café au Havre ravitaillée par cargo à voile. Le prochain projet dans lequel on s’implique sera le transport des cafés à voile. J’espère que les premiers cafés pourront être transportés à partir du Brésil dès 2027. C’est un projet dans lequel on s’inscrit depuis 2020 avec la société TOWT qui est affréteur et qui a commencé par faire du transport à la voile en 2011 avec des goélettes et qui a aujourd’hui 2 cargos en construction de 500 et 1000 tonnes, le 1er a été mis à l’eau en novembre 2023. on en est à l’étape de finition du navire et on aura les 1ers trajets à partir de 2027.
FRANCE PIZZA. Ce fonctionnement vertueux impactera-t’il le prix du café?
ANNE CARON. Ça aura forcément un impact, c’est pour cela qu’on ne peut se positionner que sur des marchandises à très haute valeur ajoutée. Si on a une qualité médiocre, ça ne vaut pas le coup ! Il faut qu’on soit sur des super cafés. Et que ça ait du sens. Ça ne sert à rien de transporter un café à la voile s’il n’a pas été cultivé sur un sol vivant ou s’il n’est pas respectueux des hommes C’est une philosophie globale, oui, ça a un impact mais qui est raisonnable.
"Le café est un produit auquel il faut accorder une attention, c’est ce que je prêche depuis des années. Les gens recherchent de bons cafés et ne veulent plus subir le café !"
FRANCE PIZZA. Quels accords mets italiens/ café pourriez-vous nous suggérer. Comment accompagner une Margherita, par exemple ?
ANNE CARON. Il ne faut pas hésiter à utiliser le café comme une épice. À partir du moment où vous pouvez imaginer mettre du citron ou quelque chose d’un peu acide comme le basilic, vous pouvez imaginer mettre du café. Avec une Margherita, je mettrais un café assez parfumé comme un moka d’Ethiopie de le région de Sidama ou un Rwanda donc des cafés assez denses, assez légers mais très parfumés.
FRANCE PIZZA. Avec des spaghetti carbonara?
ANNE CARON. On pourrait la saupoudrer du café. Ce plat est riche, gras et onctueux donc des cafés Rwanda ou Ethiopie, Congo, très parfumés, légèrement acidulés.
FRANCE PIZZA. Avec un tiramisù ?
ANNE CARON. J’irais chercher un express donc le Blend Signature s’accorde parfaitement. Avant même de le boire pour accompagner le dessert, c’est un café que je prendrais pour faire la base du tiramisù. Ce qui est important quand on utilise du café en cuisine c’est de se préoccuper du choix du café. Ce n’est pas la peine d’aller chercher le parfait mascarpone si vous utilisez du café soluble ! C’est un non-sens ! Le café est un produit auquel il faut accorder une attention, c’est ce que je prêche depuis des années. Les gens recherchent de bons cafés et ne veulent plus subir le café ! Il est hors de question pour moi de mettre de l’intention dans un repas sans finir par un bon café. On ne peut ni ne doit servir un mauvais café !
Propos recueillis par Isabelle Aithnard