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L'écume des pâtes : Tommaso Melilli se livre
Le 5 Juillet 2021

L'écume des pâtes : Tommaso Melilli se livre

Tommaso Melilli est un chroniqueur passé de cuisine en cuisine. Ce jeune chef-narrateur écrit régulièrement pour le site Slate.fr et pour il venerdi, spécial weekend du quotidien italien Repubblica. En travaillant dans la restauration depuis plus de dix ans, il s’est lié d’amitié avec de nombreux cuisiniers qui agitent la scène gastronomique parisienne et il s’attache à en décrypter les gestes et les manies. Nous l’avons rencontré dans son quartier général parisien (voir les bonnes adresses) à quelques mois de la sortie de L’écume des pâtes, traduction française de son livre ‘I conti con l’oste, paru en Italie juste avant que la pandémie éclate. Voici ce qu’il nous a raconté...

A 18 ans, vous avez quitté votre pays pour étudier à Paris. La ville lumière vous a ouvert les bras avec son lot d’opportunités et de déceptions. Votre retour en Italie vous a permis de vivre une grande aventure humaine relaté page après page. Dans ce cadre, l’écume des pâtes peut être considéré comme votre roman de formation ?

Absolument. C'est marrant, mais je ne m’en étais pas rendu compte en écrivant. J’ai ensuite retrouvé le même esprit en lisant La Ligne d’ombre de Conrad, un grand classique. C’est un peu ce qui arrive quand l’on s’approche des trente ans et qu’on a fait toutes les expériences de la vingtaine sans vraiment prendre conscience des conséquences de ses actions et de ses choix. Là, on s'arrête et on quitte tout pour partir à l’aventure. Mais tout devient très difficile. Ce voyage a été extrêmement difficile mais je suis convaincu qu’un récit d’un voyage linéaire n’aurait eu aucun intérêt, ni pour moi, ni pour le lecteur. Le fait de retrouver un pays qui a énormément changé en mon absence, m’a permis de relater cette inquiétante étrangeté qui m’a poursuivie tout au long de cette année si particulière. 

L’écume des pâtes à été publié en France à la fin du troisième confinement. Croyez-vous que cet isolement forcé à contribué à accroître son charme de récit de voyage ? 

C'était l’idée effectivement. Il aurait dû sortir au mois de mars, mais la situation a repoussé son lancement. C’est un livre de voyage et d’aventure à 70%, il ne parle de cuisine que pour les 30% qui restent et cela comme tous les bons livres qui développent des histoires.

Ça n’est pas un guide dans le sens strict du terme mais j’aimais l’idée que ça puisse fonctionner pour le lecteur français telle une trace pour partir en vacance en Italie. Federico Malinverno, l’oste del Caffè La Crepa, m'a écrit récemment pour me prévenir de la venue de clients français qui avaient profité d’un voyage sur le Lac de Garde pour retrouver un endroit dont je parle dans le livre et ils voulaient rencontrer certains personnages de l’histoire. On peut en déduire que ça fonctionne.   

La genèse du titre…

Le titre français à été choisi par Léa, l’assistante de mon éditrice, qui a 25 ans. Il nous a fallu deux mois de réflexions car le titre italien est intraduisible, ce qui a rendu difficile sa transposition. Le livre est le même, exceptés quelques passages, mais il est perçu d’une façon différente dans chacun des pays où il a été publié. En Italie il s’adresse d’une façon critique et parfois même énervée, à l’idée d’identité italienne alors qu’ici en France c’est presque une histoire exotique. 

Le 13 juin dans l’émission radio France Culture dédiée aux pâtes vous rappelez l’histoire des marubini, des ravioli qu’on peut déguster à Cremona, votre ville natale. Est-ce que parler des plats italien moins connus est une façon d’exorciser un éloignement teinté de nostalgie ?

C’est surtout une façon de raconter des belles histoires. J’aime les belles histoires. Elles n’ont pas forcément besoin d'être vraies, mais jolies. Une des choses que je regrette le plus de notre vie d’aujourd’hui c’est qu’on a perdu l’habitude de se taire et d'écouter quelqu’un qui raconte une belle histoire. 

En 2018 avec Spaghetti Wars vous nous avez révélé le côté violent d'une guerre méconnue qui se consomme chaque jour dans les cuisines des restaurants. Quel a été l'impact de ce milieu sur votre formation culinaire et votre caractère ? 

Je me suis formé et j’ai travaillé dans un milieu universitaire  et je me suis rendu compte qu’il y avait des conflits tacites. Je trouvais qu’on perdait beaucoup de temps à angoisser sur des sujets qui n’avaient pas d’importance à mes yeux. En revanche, le monde du commerce libéral, avec ses confrontations plus directes, me semblait beaucoup plus passionnant.

Les chefs sont devenus des personnages populaires, leurs plats des objets de culte, les restaurants des place to be. Votre écriture nous raconte une autre facette de cette réalité en présentant les cuisines comme lieu de vérité où l’on parle le langage universel du travail et de la confiance. Est-ce que vous souhaitez lever le voile sur des non-lieux construits par le marketing ?

C’est un parti pris ! Aujourd’hui on parle beaucoup de cuisine, de chefs et un peu moins des serveurs et du reste de l’équipe. Je voulais raconter l’histoire du point de vue de ceux qui travaillent dans la restauration. Trop souvent les professionnels du secteur n’ont pas le temps ni l’occasion de s’exprimer directement et pourtant ce type de narration qui a commencé avec Anthony Bourdain a une fonction importante. Les histoires écrites de ce côté du comptoir permettent à tous de se reconnaître, qu’il s'agisse des jeunes cuisiniers de vingt ans ou des vieux taverniers de soixante ans.

La carbonara est au cœur d’un phénomène d’hystérie collective qui se consomme en France depuis quelques années. S’agit-il d’un véritable symbole de l’engouement pour une cuisine italienne stéréotypée et idolâtrée ?

Oui en partie. Effectivement on parle du sujet qui m’a inspiré dans l'écriture de Spaghetti Wars. Je pense que la situation a évolué depuis et je songe à le réécrire. Maintenant le conflit est partout et je le relie au concept d’invention de la tradition. Prenons la recette des vraies pâtes à la carbonara partagée parmi les Italiens qui s'intéressent à la gastronomie. En réalité, elle est le fruit d’une tradition inventée très récemment. Jusqu’à il y vingt ans il y avait plein de versions différentes de pasta alla carbonara, puis les Italiens se sont rangés derrière une recette assez compliquée à réaliser. D’une part, deux ingrédients sont assez difficiles à repérer : le pecorino romano et le guanciale et d’autre part la technique pour réaliser la sauce est ardue. Il s’agit d’un exemple emblématique de tradition qui se fige en réponse à une pression extérieure et pas par transmission. Les tentatives d’appropriation culturelle de la part des autres pays ont poussé le les italiens à se reconnaître dans une recette codifiée, comme on se réunissait autrefois  autour d’un feu, d’une église, d’un bâtiment. 

Portrait de Tommaso Melilli, chroniqueur et cuisinier

Références bibliographiques

  • L’Ecume des pâtes à la recherche de la vraie cuisine italienne de Tommaso Melilli. Traduit de l’italien par Vincent Raynaud. Éditions Stock, avril 2021.
  • La Ligne d’Ombre de Joseph Conrad, traduit de l’anglais par Jean-Pierre Naugrette. Flammarion 1997.
  • I conti con l’oste de Tommaso Melilli. Giulio Einaudi Editore, février 2020 (en italien).
  • Spaghetti Wars. Journal du front des identités culinaires de Tommaso Melilli. Nouriturfu, Septembre 2018.
  • Kitchen Confidential d'Anthony Bourdain. Bloomsbury Publish 2001 (en anglais).

Les Bonnes adresses de Tommaso Melilli

Le Comptoir

30 Rue Villiers de l'Isle Adam, 75020 Paris

Caffé La Crepa

Piazza Matteotti 14, 26031 Isola Dovarese 

 

Propos recueillis par Sara Rania

Photos Sara Rania 

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