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«La tradition oui mais pas seulement», Jean-Luc Defromont
Le 2 Octobre 2017

«La tradition oui mais pas seulement», Jean-Luc Defromont

Jean-Luc Defromont a enseigné à l’université en France et en Italie. Il est maintenant traducteur, notamment de livres de recettes de cuisine régionale italienne et vit entre Paris et Berlin, après 15 ans passés en Italie, surtout dans les Pouilles. Cet été, il a animé des cabinets de curiosité culinaire en parallèle de l’exposition « Ciao Italia » au musée de l’Immigration de la porte Dorée à Paris. Tout en présentant les origines et évolutions de spécialités culinaires de plusieurs régions d’Italie, il a également participé à des ateliers de préparation de pâtes, de dégustation d’huiles d’olive. L’heure est au partage des nouvelles connaissances dont il a pu s’enrichir à cette occasion.

A quand remonte votre rencontre avec l’Italie ?

J’ai fait mon 1er voyage en Italie à l’âge de 22 ans et suis resté un mois à Rome, où j’ai « attrapé » le syndrome de Stendhal*. Le coup de foudre absolu ! J’aime beaucoup l’art, l’histoire de l’art, et l’Italie est époustouflante de ce point de vue-là, car la moindre petite ville recèle des chefs-d’œuvre. Ma curiosité dès lors attisée, j’y suis ensuite retourné régulièrement pour explorer d’autres régions, jusqu’à décider de bouleverser le cours de ma vie professionnelle. Alors que j’enseignais la littérature anglaise à l’université en France, j’ai commencé à prendre des cours d’italien, je me suis installé à Milan, puis j’ai trouvé un emploi dans les Pouilles au service de l’ambassade de France, et j’y ai vécu pendant 14 ans.

Quel est votre rapport avec la cuisine italienne ?

 

Chez moi, je mange italien. Dans cette alimentation, j’apprécie entre autres l’huile d’olive, les fromages, les tomates, les pâtes, dont je ne me lasse pas. Il y en a une infinité ! Je suis végétarien et la cuisine italienne me convient mieux que la française. Elle correspond à mon idéologie alimentaire : manger frais, sain, écoresponsable. Dans les Pouilles, il est naturel de manger des fruits et légumes de saison. J’ai découvert là-bas des vins (dont le puissant primitivo), des légumes inconnus en France, souvent un peu amers : les cime di rapa (pousses de navet), les lampascioni (bulbes de jacinthe sauvage), les chicorées, une variété d’olives de friture… Par ailleurs, je suis né et j’ai longtemps vécu au Maroc, dont la gastronomie n’est pas sans liens avec celle de l’Italie, qui a par exemple conservé un goût pour le sucré-salé dans les régions ayant connu les invasions arabes. En Sicile, on utilise le couscous, la menthe, le jasmin, les amandes, le miel... Mes affinités avec la gastronomie italienne se sont renforcées quand l’éditeur SIME Books, pour lequel j’avais traduit un ouvrage sur la cathédrale de Monreale, m’a proposé de traduire plusieurs livres de cuisine italienne, destinés aux touristes français de passage en Italie. J’ai accepté avec enthousiasme. Cet été, j’ai fait la promotion de ces livres dans le cadre des animations du Palazzo, en parallèle de l’exposition « Ciao Italia » au musée de l’Immigration.

Est-il facile de manger italien en France et en Allemagne ?

Même si je ne trouve pas les mêmes produits en France et en Allemagne qu’en Italie, j’arrive à cuisiner italien : quand je prépare des raviolis au potiron et aux amaretti, ils ne sont peut-être pas aussi bons que ceux que l’on mange à Mantoue, mais j’obtiens quand même un résultat satisfaisant. A Paris, je m’appuie sur les circuits courts pour la fraîcheur des produits (La Ruche qui dit Oui, notamment). L’Italie m’a peut-être légué ça, entre autres : j’ai besoin qu’un légume soit très très frais. En revanche, il est difficile de se procurer des tomates aussi savoureuses qu’en Italie, et je dois renoncer à certains légumes comme les cime di rapa que je ne trouve pas en France. A Berlin, c’est encore plus compliqué. Pas ou peu de tomates dignes de ce nom, peu d’épiceries fines italiennes… Mais chose incroyable, j’ai en bas de chez moi un marché de rue qui propose des cime di rapa, et je peux me faire des orecchiette comme dans les Pouilles ! Il m’arrive rarement d’aller au restaurant italien, car je préfère attendre mon prochain voyage en Italie, mais je trouve cependant qu’on mange très bien italien à Paris de nos jours. Certes, les prix sont plus élevés, mais c’est normal. A Berlin, il y a énormément de restaurants italiens et, par chance, une très bonne pizza en bas de chez moi !

Est-ce qu’il vous semble que les habitudes alimentaires ont évolué en Italie ?

La tradition culinaire reste très importante en Italie. Le phénomène Slow Food, très italien, est étroitement lié à la qualité de la nourriture, au bien manger, à la production locale et à la pepétuation d’une gastronomie. Dans le sud de l’Italie, je ne vois pas vraiment de changement. D’ailleurs, quand je vais au restaurant là-bas, je choisis les valeurs sûres, les lieux où je sais ce que je vais manger. Mes amis des Pouilles continuent à s’approvisionner par leurs réseaux personnels ou auprès de petits maraîchers, il y a encore de petits marchés de rue. Parfois, ils vont aussi à l’Ipercoop qui pratique une politique de fruits et légumes bio et de maintien du prix, et qui n’est pas si mal en fin de compte. Dans la mentalité italienne, la notion de réseau, de ressources familiales, sont très importantes. Ce qui peut constituer un petit contre-pouvoir à la grande distribution.

Que pensez-vous de la remise au goût du jour de blés anciens en Italie ?

Ça me paraît logique, car dans les pizzerie en Italie, on vous propose très souvent de la farine intégrale, bio, sans gluten etc. Outre les phénomènes de mode actuels, beaucoup de farines peu connues en France sont très importantes dans la cuisine italienne, qui les utilise depuis l’Antiquité. C’est le cas de celles de châtaigne, de pois chiches ou d’épeautre, très appréciée des Etrusques. Dans les Pouilles, on trouve la farine de blé brûlé (grano arso) autrefois utilisée par les pauvres gens, qui avaient le droit de glaner dans les champs brûlés par les propriétaires après la récolte. Cette farine donne un petit goût presque fumé, on l’emploie pour confectionner les pâtes, la focaccia, les pizzas. Mes amies des Pouilles mélangent les farines quand elles cuisinent, elles les connaissent bien et se les procurent souvent chez des paysans.

Que pensez-vous de l’inscription de la pizza napolitaine au patrimoine mondial de l’humanité ?

Au patrimoine mondial de l’humanité, il y a un peu de tout ! C’est émouvant, car ça signifie qu’on est attaché à tout sur notre planète, même si on la détruit par ailleurs. LA pizza, non, LE pizze, oui, car il y en a plein de différentes. J’adore la façon de la faire dans les Pouilles, plus fine et croustillante qu’à Naples. Et puis, qu’est-ce que la vraie pizza napolitaine ? Au fond, sous sa forme actuelle, elle est assez récente, puisqu’on n’utilise la sauce tomate que depuis le début du XIXe siècle, alors que la pizza est beaucoup plus ancienne ! La tradition est essentielle dans le domaine culinaire en Italie, mais la pizza ne doit pas être figée. On aimera toujours la Margherita, mais elle ne doit pas avoir le monopole.

Est-ce que vous envisagez une suite à vos activités en lien avec la cuisine italienne ?

Le travail de préparation des cabinets de curiosités culinaires et les rencontres que j’ai faites à cette occasion, me donnent envie d’aller plus loin. Je pourrais proposer d’autres démarches analogues dans d’autres lieux parisiens, à Berlin, pourquoi pas donner des cours de cuisine, approfondir l’histoire de la gastronomie italienne…

* Le syndrome de Stendhal, est une maladie psychosomatique qui atteint certains individus exposés à une surcharge d’œuvres d’art. 

 

 

Propos recueillis par Carole Gayet

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