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Pizza, cultures et mondialisation, Sylvie Sanchez (2e partie)
Le 1 Octobre 2016

Pizza, cultures et mondialisation, Sylvie Sanchez (2e partie)

Anthropologue spécialiste dans l’étude du changement culturel notamment en matière d’alimentation, l’auteure a publié en 2007 l’ouvrage « Pizza, cultures et mondialisation », réédité très récemment. Elle a étudié pendant plus de 10 ans le statut et l’évolution de la pizza dans le temps et selon sa transposition géographique, en France mais aussi au-delà des frontières hexagonales. Au-delà de la spécialité culinaire, Sylvie Sanchez est aussi attachée à ce que l’implantation d’un plat hors de son berceau d’origine traduit en termes d’évolutions socio-économiques de son lieu d’immigration et de ceux qui l’exportent.

Quel est l’intérêt spécifique d’étudier la pizza ?

Le propre de l’anthropologie consiste à étudier les comportements et les changements à long terme, sur 1 à 2 générations pour pouvoir en tirer des conclusions valables. La pizza présentait un intérêt particulier de ce point de vue au regard de son ancienneté. En effet, le terme désignant ce qu’on connaît aujourd’hui comme pizza remonte à 1500-1535, ce qui signifie qu’on peut la suivre sur du long terme. Elle présente aussi l’avantage de pouvoir être observée géographiquement à travers les migrations des Italiens qui sont parmi ceux qui se sont le plus expatriés. Il serait difficile de citer d’autres aliments offrant des aspects à étudier aussi divers.

Sous quel angle avez-vous étudié son évolution ?

Les 3 piliers pour étudier le changement en alimentation sont : forme, fonction, finalité. Pour la pizza, la question de sa représentation a été centrale. Ce qui peut se traduire par la question suivante : « qu’est-ce qui fait qu’on reconnaît une pizza comme telle ? » Entre une pizza américaine et une pizza de pizzéria traditionnelle artisanale, il y a un monde, pourtant elles ont des éléments communs qui les rendent acceptables en tant que pizza. Les points de convergence tiennent au respect d’un équilibre pâte/garnitures (on va distinguer une tarte d’une pizza par exemple), de la façon de la manger ou des lieux dans lesquels il est admis qu’on puisse la consommer. Pour autant, bien qu’un Américain et un Italien puissent reconnaître la pizza de l’autre en tant que pizza ils refuseront de la manger pour des motifs de tabous alimentaires. Par exemple il est inconcevable pour un Italien de mélanger fromage et fruits de mer. Au-delà, un seuil est franchi et on passe dans les avatars. Il y en a eu beaucoup aux Etats-Unis dans les années 1950, avec par exemple la tentative de transformer un bagel en pizza. Aujourd’hui les recettes avec des boudins de pâtes fourrées chez Pizza Hut peuvent être appréciées par les clients sans pour autant qu’ils les considèrent comme étant de la pizza.

Que révèle une telle étude au-delà du produit étudié ?

Ce que je trouve passionnant c’est ce que l’aliment révèle d’une condition humaine, sociale. Avant de travailler sur la pizza j’avais étudié l’approche des produits laitiers par les Japonais au 19es. Je m’étais intéressée aux conditions nécessaires à l’adoption d’un produit, ce qui m’avait permis de comprendre que lorsqu’on parle de l’adoption d’un aliment, d’autres critères sont en jeu sans rapport direct avec le produit tels que la politique d’intégration des étrangers. C’est ainsi que pour suivre la pizza j’ai dû m’intéresser en trame de fond à la politique française d’immigration sans laquelle les Italiens se seraient probablement détourner de la pizza. Symbole de pauvreté, elle aurait pu être délaissée par les migrants parvenus à s’enrichir. Mais les lois de 1924 et 1934 ayant sonné le glas de l’immigration saisonnière, et les immigrés étant exclus de l’accès à certaines professions, les Italiens s’établissent en tant que commerçants. C’est ainsi qu’ils ont l’idée de faire de la pizza même si ça n’était pas leur métier. C’est le cas de cet immigré italien installé à Marseille que j’ai rencontré, camionneur de métier, qui a mis à profit l’expérience de sont oncle qui vend de la pizza en Italie pour créer un camion pizza.

Comment analysez-vous les évolutions récentes ?

Le déferlement de pizzaïolos napolitains dans la capitale est un signe de revalorisation de la pizza. Par ailleurs, avec l’appropriation qui est faite de la pizza comme plat gastronomique par les Français, on franchit un cap dans la transformation avec un phénomène de syncrétisme, c’est à dire le mélange de deux traditions au profit de quelque chose de locale. Le syncrétisme est vrai puisqu’il y a utilisation d’ingrédients français dans le respect des règles de l’art de préparation de la pâte de la pizza et de la compatibilité des ingrédients associés sur le mode italien. La « récupération » de la pizza par les foodtrucks va dans ce sens aussi car le principe du concept est d’élever une cuisine de rue au statut de spécialité gastronomique. Je rappelle que l’association de la gastronomie et de la pizza remonte aux années 1980 aux Etats-Unis.

 

 

Propos recueilis par Carole Gayet

 

 

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