Photographier, cuisiner, entre émotion et réflexion
Passionné de photographie depuis l’âge de 13-14 ans, j’en ai fait mon métier et j’ai très tôt développé des projets artistiques dans lesquels la nourriture était présente. J’ai quitté la Toscane pour Paris en 1996, en quête d’une expérience d’étude théorique et pratique en photo de quelques mois. La formation que j’ai dénichée à l’université Paris 8 a finalement duré 3 ans et ensuite je suis resté en France. Dès le lycée, j’ai commencé à travailler pour un journal régional comme photographe qui m’a ensuite embauché en fixe. Ne souhaitant pas me consacrer qu’à des travaux de commande, la recherche photographique que je mène consiste à donner de l’importance à des banalités de la vie quotidienne, comme les restes d’un repas. Ce fût le cas notamment de 2011 à 2013, en Sardaigne. Appelé à Cuglieri dans la région du Montiferru, pour un projet de création d’un espace d’art contemporain en milieu rural, le musée d'art contemporain de Calasetta dans le sud de l'île m'a proposé une résidence de création. Après avoir présenté mon travail aux habitants, je leur ai suggéré de m’inviter à manger chez eux en échange de quoi je faisais la vaisselle, l’occasion pour moi de recueillir par la photo des fragments de la préparation ou de l’après le repas.
Cette expérience m’a aussi marqué à un autre titre, impactant mon mode de vie lors de mon retour en France. Alors qu’il y a de l’élevage partout en Sardaigne, je suis tombé sur de la viande en barquette d’origine française au supermarché, plus chère que chez le boucher du village de 2 000 habitants, et des fruits d’Espagne alors qu’ils poussent partout… J’ai peur que ces constatations soient les signes annonciateurs d’une dégradation de la qualité de l’offre culinaire en Italie, comme ce fût le cas en France sous l’impact du déferlement de la grande distribution. On pouvait manger un bon pot-au-feu ou une bonne soupe à l’oignon pour un bon rapport qualité-prix, c’est fini. En Italie, on peut encore manger bien, voire très bien, dans n’importe quelle gargote, pourvu que ça dure. Je ne saurais dire s’il y a un lien mais toujours est-il que c’est à mon retour de Sardaigne que j’ai éprouvé pour la première fois, un besoin fort de trouver des produits italiens en France. La dernière fois que je suis allé en Italie, j’ai même rempli le coffre de la voiture ! Il faut dire aussi qu’entre le moment où je suis arrivé à Paris et aujourd’hui, la gastronomie italienne a explosé. Alors que je trouvais que ça manquait de pizza al taglio au point de penser ouvrir moi-même une boutique, il y en a maintenant partout.
C’est aussi à cette époque là que j’ai connu Stefano Palombari qui m’a raconté son projet Dolce (*). C’était nouveau pour moi d’aller dans des cuisines professionnelles et de m’intéresser aux gâteaux car je suis plutôt attiré par le salé. D’ailleurs, j’ai toujours bien aimé cuisiner et depuis cette belle expérience mon envie s’est renforcée. Travailler avec des restaurants italiens a eu une résonance particulière en moi. Avoir découvert ceux participant à l’opération Dolce m’a donné envie d’y retourner, chez Il Fico, Don Giovanni, Rossi&co… Je regardais les chefs cuisiner, je discutais avec eux. Ils étaient dans l’intention de réaliser une composition qui retienne mon regard, une complicité s’instaurait. Alors que l’œuvre gastronomique est éphémère, celui qui la photographie permet qu’elle dure. Le parallèle entre leur travail et le mien m’a semblé évident. Ce qui m’intéresse c’est d’être à contre-courant des clichés. On est dans un monde d’images très standardisées à grande valeur esthétique par leur exceptionnalité mais vides de sens. De la même manière, la mission de ces chefs était de faire autre chose que les sempiternels panna cotta et tiramisù. Il s’agissait pour eux de proposer quelque chose qui ne soit pas tout le temps sous les réflecteurs, de montrer autre chose de plus complexe, porteur de tradition, d’une histoire, une culture. Un autre parallèle est dans l’approche de l’œuvre. Souvent on regarde une photo une fois et on passe à autre chose. J’utilise la nourriture comme point de départ. Prendre en photo du sucre dans un verre doseur ou de beurre qui fond doit inviter l’esprit à l’évasion, à l’imagination. De la même façon, quand on goûte une belle pâtisserie qui est en quelque sorte une œuvre en soi, elle se révèle petit à petit au palais, donne à réfléchir, à découvrir ses saveurs. Et à l’image d’une œuvre d’art, on la redécouvre autrement avec une émotion différente à chaque fois sans jamais se lasser.
Massimilano Marraffa, photographe
(*) Chaque mois un restaurant italien de Paris proposait un dessert italien original autre que panna cotta et tiramisù. Les photos des pâtissiers et de leurs œuvres de Massimiliano Marraffa étaient exposées dans les restaurants. Massimiliano Marraffa souhaite publier un recueil de ces photos et recettes.
Copyright : Olivier Perrot
Propos recueillis par Carole Gayet